2016

Parus dans Dauphine Recherches

« Lean management : moins de bénéfices qu’attendus ! »

Gregor Bouville

Le lean management répond-il aux attentes de performance économique et sociale des entreprises ? « Pas si sûr », estiment Gregor Bouville et David Alis, co-auteurs de l’étude « The effects of lean organizational practices on employees’ attitudes and workers’ health: Evidence from France », publiée par The International Journal of Human Resources Management. Leur démonstration prend appui sur l’enquête Sumer 2003 auprès de 24 486 salariés en France surveillés par la médecine du travail. Pour deux items – santé au travail, intention de quitter son poste ou son travail – les résultats sont défavorables aux salariés des entreprises ayant déployé le « lean ». Explications.

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Promu souvent en France comme un moyen, pour les entreprises, de retrouver de la compétitivité, le lean management est un système d'organisation industrielle déjà ancien, introduit dans les usines japonaises du groupe Toyota au début des années 1970. Il viserait à éliminer toutes les activités à non-valeur ajoutée dans le processus de production, d’où son appellation de lean comme «mince».

Au-delà des bénéfices économiques attendus, les deux enseignants-chercheurs ont pour objectif de mesurer les conséquences du lean sur le bien-être des salariés au travail. Ce mot valise de lean ne faisant pas consensus dans la littérature, Gregor Bouville, pour fixer le cadre de l’étude, le définit comme « un ensemble de techniques de gestion de production (5S, Andon...) et de pratiques organisationnelles qui se traduisent par cinq caractéristiques : 1. La forte standardisation des procédés de travail, caractéristique commune avec le taylorisme. 2. La délégation de responsabilités aux salariés pour enrichir leur travail. 3. La polyvalence. 4. La résolution de problèmes imprévus. 5. Le management de la qualité totale, issu de la démarche Toyota ». 

Plus d’absentéisme, de TMS… et de rebuts !

Au départ, Gregor Bouville commence par réaliser une étude qualitative dans le centre de maintenance d’une grande entreprise ferroviaire ayant déployé le lean (Bouville, 2013). Il analyse les conséquences économiques et sociales de ce déploiement à partir notamment de quatorze entretiens semi-directifs auprès d’agents, de la direction, des médecins du travail et des représentants du personnel et d’une immersion de quatre mois. « Ce changement organisationnel, constate-t-il, a été suivi d’une forte augmentation des troubles musculo-squelettiques et du taux d’absentéisme. J’ai observé aussi une progression du taux de rebuts de pièces, qui peut s’expliquer par la parcellisation des tâches, engendrée par une standardisation poussée des procédés de travail. Peut-être aussi aurait-il fallu un peu plus de formation pour les préparer à faire face à des problèmes imprévus ?» Ensuite, avec l’appui de David Alis, son ancien directeur de thèse, Gregor Bouville se lance dans une vaste étude quantitative « visant à tirer des résultats un peu plus généralisables, à partir de ce que j’ai observé sur le terrain ».

Un échantillon de 24 486 salariés en France

Pour mesurer l’effet simultané des pratiques opérationnelles du lean décrites plus haut, les chercheurs utilisent l’enquête de surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer 2002-2003), conduite par la Dares (Département d’études et de statistiques du ministère du Travail). Forts de cette base de données de 24 486 salariés en France, ils étudient les conséquences sociales du lean en comparant l’état des 6,5% de salariés soumis au lean à l’ensemble de l’échantillon. Pour deux items étudiés – intention de rester à son poste ou dans son travail, santé au travail –, les conséquences sociales des pratiques du lean apparaissent au désavantage du groupe qui suit cette démarche de management : 45% envisagent de quitter leur poste ou leur travail, contre 36% pour l’ensemble des salariés ; et 57% ont une santé au travail dégradée contre 45% pour l’ensemble du groupe. Le stress provoqué par les pratiques opérationnelles du lean en serait principalement la cause.

L’effet positif d’ISO 9001

« Cependant, nuancent les enseignants-chercheurs, la pratique du management de la qualité totale, considérée à elle seule et sous l’angle du déploiement de la norme de qualité ISO 9001, a un effet positif sur la santé au travail. Une découverte un peu inattendue par rapport à ce qu’on peut lire généralement dans la littérature sur la qualité totale ! Cet effet positif s’explique par le fait que le cahier des charges de cette norme indique justement que l’entreprise doit améliorer l’environnement de travail. Ce qui contribue indirectement à satisfaire l’objectif d’amélioration de la qualité des produits ou services. »

Performance économique versus performance sociale, le débat reste ouvert…

APPLICATIONS

Une extension de l’étude de Grégor Bouville et David Alis sur les effets du lean management, à l’échelle de l’Europe, permettrait de faire ressortir les différences de déploiement d’un pays à l’autre et de comparer leurs « bilans respectifs », dans la continuité des travaux de Lorenz et Valeyre (2005). Elle pourrait s’appuyer sur la 6e enquête européenne sur les conditions de travail - 2015, réalisée par Eurofound en coopération avec Ipsos sur un échantillon de plus de 43 000 travailleurs dans 35 pays européens. Et aussi sur plusieurs études de cas qualitatives auprès d’entreprises européennes de l’industrie et des services. Eurofound (Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail), basée à Dublin, fournit des informations et mène des recherches afin de contribuer à l'élaboration des politiques sociales et du travail. L'objectif final est d'aider à concevoir et à mettre en place de meilleures conditions de vie et de travail en Europe.

D’après l’article “The effects of lean organizational practices on employees’ attitudes and workers’ health: Evidence from France” publié dans  The International Journal of Human Resources Management en 2014


Gregor Bouville, Maître de conférences à l’Université Paris-Dauphine et membre de DRM- M&O, est spécialisé en gestion des ressources humaines, management de la santé et du bien-être au travail qui tiennent lieu de fil rouge à ses recherches. Avec David Alis, son directeur de thèse, professeur en gestion des ressources humaines à l‘Université Rennes 1, il analyse les « effets perturbateurs » du lean management sur la santé et le bien-être au travail qui obèrent les bénéfices économiques attendus. David Alis a participé à l’ouvrage collectif « Risques et souffrances au travail » (Dunod, 2010).

BIBLIOGRAPHIE

  • Bouville, G., Alis, D. (2014). The effects of lean organizational practices on employees’ attitudes and workers’ health: Evidence from France, The International Journal of Human Resources Management, 25(21), 3016-3037

  • Bouville, G. (2013),Les effets de la lean production sur les TMS et les arrêts maladie : les résultats d’une étude de cas rétrospective dans une entreprise de maintenance ferroviaire, Travailler, 29, 183-202.

  • Krafcik, J. F. (1988), Triumph of the lean production system, Sloan Management Review, 30, 41-52.

  • Landsbergis, P.A., Cahill, J., & Schnall, P. (1999),The impact of lean production and related new systems of work organization on worker health, Journal of Occupational Health Psychology, 4(2), 208-230.

  • Liker, J. K. (2004), The Toyota Way: 14 management principles from the world's greatest manufacturer,New York: McGraw-Hill.

  • Lorenz, E., & Valeyre, A. (2005), Les formes d’organisation du travail dans les pays de l’Union Européenne, Travail et Emploi, 102, 91-105.

  • Macky, K., & Boxall, P. (2007),The relationship between ‘high-performance work practices’ (HPWS framework) and employee attitudes: An investigation of additive and interaction effects, International Journal of Human Resource Management, 18, 537-567.

  • Womack, J.P., Jones, D.T., & Roos, R D. (1990), The Machine that Changed the World, New York: Rawson Associates.


« Innovations managériales : des chercheurs qui co-inventent… »

Albert David

Quelle est la place des chercheurs académiques dans l’innovation managériale ? Sont-ils des analystes critiques, a posteriori, des processus d’invention, d’expérimentation, de diffusion et de mise en œuvre des modèles et techniques de management ? Ou jouent-ils un rôle plus actif ? À partir de cinq exemples analysés dans son étude sur « La place des chercheurs dans l'innovation managériale », Albert David défend l’idée selon laquelle le chercheur en management ne doit pas se limiter à un rôle d’observateur. Aux côtés de l’entrepreneur et/ou du consultant, il peut agir comme « co-inventeur » et « testeur » de nouvelles démarches managériales.

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D’où viennent les innovations managériales ? Des managers ou des chercheurs ? Très souvent d’une recherche collaborative, estime Albert David, enseignant-chercheur à Dauphine, à la lumière de  cinq cas emblématiques : Taylor et l’organisation scientifique des usines, Elton Mayo et le facteur humain, Kurt Lewin et la dynamique de groupe, la Royal Air Force et la recherche opérationnelle, Peter Drucker et le management par objectifs. Il en déduit quatre modes de contribution des chercheurs académiques au processus d’innovation managériale.


4 modes de contribution des chercheurs académiques

  • L’observation critique où le chercheur n’est à l’origine ni de l’innovation ni de la théorie : citons par exemple les travaux de H. Levinson, une analyse critique du management par objectifs et des conditions de sa mise en œuvre.

  • La théorisation de pratiques dont les chercheurs ne sont pas les inventeurs : ainsi les chercheurs Vincent Chapel, Benoît Weil et Armand Hatchuel n’ont pas inventé le « modèle Tefal » de management de l’innovation mais en ont théorisé le fonctionnement et proposé une nouvelle configuration de la firme innovante, appelée DO2 (Design Oriented Organizations) ou organisation orientée conception.

  • L’invention de pratiques innovantes à partir d’une théorie existante : une illustration en est fournie par les « ateliers de conception innovante » mis au point par un groupe de chercheurs et de consultants autour de Mines ParisTech et de l’Université Paris-Dauphine en application de la théorie C/K (comme Concept Knowledge) d’Armand Hatchuel.

  • La co-génération de la théorie et des pratiques, alliant chercheurs, ingénieurs, managers et/ou consultants : c’est le cas de Taylor qui rassemble lui-même les qualités d’ingénieur et de théoricien. Et plus récemment, par exemple, de Bernard Roy, professeur à l’Université Paris-Dauphine. Constatant que les décisions sont trop souvent prises à l’aune d’un seul critère, monétaire ou financier, il développe dans les années 1970 un outil d’aide à la décision multicritères en coopération avec de grandes entreprises publiques : la RATP pour décider un prolongement de ligne de métro, EDF, l’implantation d’une centrale... Selon Albert David, « il est en quelque sorte le précurseur de la méthode Balanced Scorecard (ou tableau de bord équilibré) ».

Mise au point dans les années 1990 par Robert Kaplan, professeur à Harvard, en collaboration avec Donald Norton, consultant, cette méthode procède de l’idée analogue de gérer la performance d’une société en fonction de critères plus variés que du seul critère financier. Elle est utilisée aujourd’hui par les plus grands cabinets conseils dans le monde.

Université/Entreprise : les ateliers d’innovation

Ce rôle de contributeur actif aux innovations managériales, Albert David l’assume lui-même avec enthousiasme auprès des entreprises. « Appliquant la théorie C/K (Concept/Knowledge) qui modélise les raisonnements de conception et permet de repérer ceux ayant un potentiel d’innovation, nous avons conçu des méthodes de génération de concepts innovants que nous mettons en œuvre avec des entreprises, via des ateliers d’innovation. » C’est ainsi qu’une équipe de chercheurs de Dauphine et de l’Ecole des Mines ParisTech a travaillé avec Thales sur le cockpit civil du futur, et l’a aidé à gagner l’appel d’offres sur le cockpit de l’Airbus A 350 avec des éléments sortis de l’atelier. « Cette preuve pratique de l’efficacité de la méthode a créé du buzz dans l’industrie et nous avons coopéré ensuite avec Safran sur le projet Avion et Aéroport 2050. Dans le secteur des services, avec Orange et Céline Mounier, la créatrice des Cafés numériques Orange, l’équipe de recherche pilotée par Albert David a théorisé ces dispositifs de conversations en ligne animés par des « garçons ou garçonnes de café numérique ». Leur but est d’explorer les usages futurs du digital. Ces conversations sollicitent à chaque fois, sur un thème qui intéresse Orange, une trentaine de participants parmi une base d’environ 6 000 internautes. Une fois analysé, leur contenu irrigue un certain nombre de processus d’innovation et de décision dans l’entreprise. « Les pratiques managériales s’enrichissent de ces processus d’invention collaborative, estime Albert David. Le statut de chercheur académique en tant que co-inventeur de techniques, de dispositifs et d’outils de management innovants, et même en tant que force de proposition d’idées innovantes issues de ces techniques de management, est celui que je m’efforce de promouvoir. »

APPLICATIONS PRATIQUES

D’autres études réalisées dans les ateliers de l’innovation :
• Le Métro du XXIe siècle, avec la RATP.
• Innover en rupture sur les systèmes de filtration d’eau ultrapure, avec Merck Millipore.
• Une relation innovante avec les demandeurs de logement, en collaboration avec un organisme de logement social
• Lien social, habitat et situations de fragilité dans la ville innovante de 2030, projet cofinancé par l’Agence Nationale de la Recherche.

D’après l’article : « La place des chercheurs dans l'innovation managériale » publié dans Revue française de gestion en 2013


Albert David, professeur à l’Université Paris-Dauphine, est chercheur à DRM (Dauphine Recherches en Management), dont il dirige l’une des équipes : M-Lab. Responsable du master Management de la Technologie et de l’Innovation, co-rédacteur en chef de la revue Finance, Contrôle, Stratégie (FCS), il est également le fondateur et le directeur scientifique du Cercle de l’Innovation, au sein de la Fondation Dauphine. Ses publications portent sur la décision et le changement, l’innovation managériale et l’épistémologie de la recherche en sciences de gestion.

BIBLIOGRAPHIE

  • David A. (2013). « La place des chercheurs dans l'innovation managériale », Revue française de gestion, 2013/6, n° 235, pp. 91 – 112

  • Hatchuel A., Le Masson P., Weil B. (2002), From knowledge management to design-oriented organizations, International Social Science Journal, n°171.

  • Levinson H. (1970), Management by whose objectives?, Harvard Business Review, July-August.

  • Katz D., Kahn R.L. (1966), The Social Psychology of Organizations, Wiley.

  • Drucker P. (1954), The Concept of the Corporation, John Day (1946) ; The Practice of Management, Harper Collins.

  • Taylor F.W. (1911), The principles of scientific management, New York, Harper.


« Comment l’industrie américaine de l’armement a-t-elle géré l’après 11 septembre ? »

Colette Depeyre

Les attentats du 11 septembre 2001 ont cristallisé un changement de fond en œuvre dans le secteur de l’armement. Colette Depeyre, et son co-auteur, ont analysé comment les entreprises américaines se sont adaptées à ce nouveau contexte.

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Face aux ruptures technologiques, aux changements de contexte politique, ou à l’apparition de nouveaux modes de consommation, les entreprises doivent se montrer agiles et faire preuve d’adaptation. Comment ce processus d’évolution se met-il en place ? Les entreprises anticipent-elles le changement ou réagissent-elles a posteriori ? Existe-il des caractéristiques communes entre ces sociétés ? Telles sont quelques-unes des problématiques abordées par Colette Depeyre et son co-auteur. Les chercheurs se sont ainsi penchés sur les trajectoires d’adaptation des entreprises américaines du secteur de l’armement après le 11 septembre 2001. « Les attentats ont cristallisé un certain nombre de changements apparus dans les années 90, explique Colette Depeyre. Ils ont mis en avant un autre type de menace qui ne peut être combattu par les armements traditionnels. Le déploiement des nouvelles technologies d’information et de communication et la mise en réseau des systèmes sont devenus une nécessité. Ces innovations technologiques ont généré de profonds changements dans la conception, comme dans le fonctionnement des systèmes de défense, remettant en cause l’organisation des entreprises du secteur.»

Des paroles et des actes

Les auteurs ont ainsi analysé les données de 17 entreprises sur la période 1998-2005, via la méthodologie « QCA » (Qualitative Comparative Analysis). Cette technique présente l’avantage de croiser approches quantitative et qualitative afin d’identifier des relations causales sous forme de conditions nécessaires et suffisantes. Quatre variables sont retenues pour identifier des trajectoires d’adaptation (ou de non-adaptation). Deux d’entre elles sont des critères cognitifs relatifs à l’attention portée par une entreprise à un changement à l’œuvre dans son secteur : les premières marques d’intérêt (« attention timing ») notent le moment où le management commence à évoquer le changement dans ses prises de parole; et l’intensité des discours ( « attention intensity ») évalue la place accordée au sujet par rapport à la moyenne des entreprises du secteur. Les deux autres variables, dites de capacité, abordent les actions concrètement menées via le prisme des reconfigurations d’actifs : des entités sont-elles réaménagées ou créées ? Des acquisitions ou des cessions sont-elles menées ? L’étude regarde l’ampleur des reconfigurations (« reconfiguration scope ») et leur intensité (« reconfiguration intensity ») : sont-elles localisées ou touchent-elles l’entreprise dans son ensemble ? Sont-elles de plus grande ampleur après le 11 septembre ? Enfin, ces quatre variables sont croisées avec le niveau de dépendance au secteur, autrement dit la part du secteur de l’armement dans le chiffre d’affaires de l’entreprise.

Des précurseurs…

Les chercheurs font ainsi ressortir cinq profils d’entreprise. Tout d’abord, les entreprises « anticipatrices ». « Ces entreprises perçoivent très tôt les évolutions, bien avant le 11 septembre, souligne Colette Depeyre. Elles en parlent rapidement et avec beaucoup d’intensité. Leur adaptation se fait donc très progressivement et quasi naturellement. Il n’y a pas de rupture.» Ensuite, les entreprises « réactives ». Ces dernières portent attention au changement plus tardivement mais avec intensité. Il en va de même pour les actions. Il faut attendre 2002 pour remarquer des réorganisations d’actifs étendues et de forte intensité, avec des acquisitions importantes. In fine, ces groupes réussissent à s’adapter aux nouvelles exigences de leur métier, et ce, malgré un processus enclenché tardivement. Les entreprises anticipatrices, comme réactives, partagent par ailleurs le fait d’être très dépendantes du secteur de l’armement en termes de chiffre d’affaires. S’adapter est pour elles une question d’obligation.

…aux réfractaires

Au contraire, les entreprises « opportunistes » et les entreprises « décisives » ont souvent une activité plus diversifiée, à la fois civile et militaire. Elles évoquent le changement plus tardivement dans leurs discours, mais finissent par mettre en place des reconfigurations étendues. Les « opportunistes » utilisent davantage leurs ressources internes, et complètent avec de petites acquisitions, tandis que les « décisives » identifient leurs manques et mènent d’importantes opérations de rachat ou de cession. Enfin, une dernière catégorie regroupe les entreprises qui choisissent délibérément de ne pas s’adapter. Les discours sur les changements en œuvre dans le secteur militaire sont rares, tout comme les actions de reconfiguration. Et quand des opérations d’acquisition sont menées, elles concernent de petites entités. Ces entreprises sont peu dépendantes au secteur militaire en termes de chiffre d’affaires, ce qui explique qu’il ne soit pas forcément pertinent pour elles de bouleverser leur organisation pour un faible revenu.

APPLICATIONS PRATIQUES

La recherche menée par Colette Depeyre et Jean-Philippe Vergne met en évidence plusieurs voies d’adaptation possibles pour les entreprises. L’anticipation permet une trajectoire plus progressive mais des reconfigurations d’actifs même tardives peuvent s’avérer adaptées. Diverses trajectoires peuvent être empruntées, il n’y a pas de recette unique. La recherche révèle également que, contrairement aux idées reçues, la non adaptation peut parfois s’avérer stratégique. Elle concerne notamment des entreprises qui sont peu dépendantes du secteur affecté par une transformation et qui ne témoignent d’une attention à ce changement que très tardivement. De futures recherches permettront d’étudier plus précisément le lien entre non-adaptation et performance d’une entreprise. Leurs travaux proposent par ailleurs une méthodologie innovante en matière d’observation des phénomènes d’adaptation. En étudiant à la fois les discours et les actes des industriels, les auteurs font discuter les champs de recherche portant sur la cognition et les capacités.

D’après l’article « How do firms adapt? A fuzzy-set analysis of the role of cognition and capabilities in U.S. defense firms’ responses to 9/11 ».

 

Colette Depeyre est Maître de conférences à l’Université Paris-Dauphine et membre de DRM-MOST. Ses recherches portent sur les processus d'adaptation des capacités des firmes et les dynamiques de marché associées, notamment dans le contexte de projets industriels complexes et dans le domaine du luxe. Elle coordonne pour Dauphine le projet de recherche « Cognition des Capacités Organisationnelles » soutenu par l’Idex ANR10-IDEX-0001-02-PSL★.

BIBLIOGRAPHIE

  • Vergne Jean-Philippe & Depeyre Colette (à paraître), « How do firms adapt? A fuzzy-set analysis of the role of cognition and capabilities in U.S. defense firms’ responses to 9/11 », Academy of Management Journal

  • Depeyre Colette (2013), « Boeing Boeing: la dualité civil-militaire source d’un rebond stratégique dans l’ère post-Guerre Froide », Entreprises & Histoire, n°73, pp. 58-74

  • Depeyre Colette & Dumez Hervé (2008), « What is a market? A Wittgensteinian exercise », European Management Review, 5(4), pp. 225-231.


« La puissance des « visuels » pour réussir une réunion stratégique »

Lionel Garreau

Un bon croquis vaut mieux qu'un long discours. » Cet adage à encore de beaux jours devant lui. D'autant qu'on connaît mieux aujourd'hui l'efficacité de son « mécanisme » dans la conduite de réunions stratégiques grâce à l'étude qualitative pilotée par Lionel Garreau avec Philippe Mouricou, Professeur associé à l’ESSCA Ecole de Management (Angers), et Amaury Grimand, Professeur de management à l’IAE de Poitiers : « Drawing on the Map: An Exploration of Strategic Sensemaking/Giving Practices using Visual Representations », publiée dans le « British Journal of Management

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Soumettre ses propres idées ou en faire émerger par les autres participants ? Quelle est la meilleure méthode ? « Plutôt un mix », constate Lionel Garreau après avoir travaillé aux côtés d’Immochan, la filiale immobilière du groupe Auchan qui cherchait à développer trois projets d’implantation de centres commerciaux.

L’utilisation de représentations visuelles est fréquente lors de réunions pilotées par un chef de projet. Celui-ci s’appuie par exemple sur des graphiques, des cartes, des plans, des vues d’architecte, des projections 3D… Ces « visuels » viennent-ils à l’appui de sa démonstration pour convaincre ses interlocuteurs ? Ou ont-ils pour but de faire émerger de nouvelles idées pour améliorer par exemple le projet lui-même (son « contenu ») ou son déroulement (le « process ») ?

17 réunions, 36 entretiens face-à-face

Pour étudier ces différentes situations et comprendre les mécanismes permettant aux responsables de conduire des réunions stratégiques qui font avancer un projet, Lionel Garreau a participé à 17 réunions regroupant des collaborateurs d’Auchan et de sa filiale immobilière, des architectes, des partenaires fonciers, parfois des élus locaux. Puis il a réalisé 36 entretiens face-à-face.

« Le traitement des données ainsi recueillies a mis en évidence l’ensemble des pratiques possibles en termes de management du sens au travers de représentations visuelles dans un projet. Puis nous avons imaginé une matrice à double entrée pour analyser ces pratiques, faisant ainsi apparaître quatre modes de management du sens : influencer le contenu, influencer le process, faire émerger le contenu, faire apparaître le process. »

Les chercheurs ont alors constaté que chaque mode, utilisé isolément, a ses limites, son « angle mort » comme l’a conceptualisé Amaury Grimand. « Seule une dynamique entre les quatre modes permettra une réflexion stratégique sur le projet la plus complète possible, pour ne pas négliger tel ou tel aspect. »

Concrètement, le manager qui organise et pilote une réunion en s’appuyant sur des représentations visuelles a plusieurs choix possibles. Commencer la réunion par le process ou par le contenu du projet ? Fixer tout de suite son orientation, ou commencer par faire émerger les idées, puis les « recadrer » pour faire avancer le projet ?

Plus d’interactivité, plus de valeur ajoutée

Réciproquement, et quel que soit le mode de management de sens choisi par le pilote de la réunion (« donner un sens » ou « faire émerger un sens »), les participants pourront tirer parti de la compréhension des visuels pour intervenir plus efficacement dans l’échange, apporter leur valeur ajoutée et participer ainsi à la décision.

« Laisser émerger les idées, concluent les auteurs de l’étude, n’est pas forcément pour le manager perdre une partie de son pouvoir. C’est au moment où il devra recadrer la réflexion qu’il l’influencera réellement. On ne gagne pas du pouvoir seulement en proposant des choses, mais aussi en les laissant émerger. »

APPLICATIONS OPÉRATIONNELLES

Conceptualisée et expérimentée avec le groupe Auchan, la méthode de conduite de réunion par le management du sens intéresse beaucoup les managers. Et cela à double titre. 1. L’utilisation des représentations visuelles facilite l’interaction entre les membres d’un groupe de projet. 2. Elle contribue, en impliquant tous les participants, à l’enrichissement et à l’avancement du projet.

D’après l’article « Drawing on the Map: An Exploration of Strategic Sensemaking/Giving Practices using Visual Representations » publié dans British Journal of Management en 2015.

 

Lionel Garreau est Maître de conférences en sciences de gestion dans le domaine du sens et de la stratégie à l’Université Paris-Dauphine et membre de DRM-M&O. Spécialiste des méthodes qualitatives, il travaille sur le lien entre le sens donné par une personne à son activité professionnelle et sa capacité à influencer la stratégie de son entreprise. Ses recherches avec le groupe Auchan, notamment, l’ont conduit à théoriser la conduite d’une réunion pour faire aboutir un projet stratégique. Lionel Garreau est responsable adjoint de la Chaire Intelligence Economique et Stratégique des Organisations à la Fondation Dauphine.

BIBLIOGRAPHIE

  • Garreau L., Mouricou P., Grimand A. (2015), « Drawing on the Map: An Exploration of Strategic Sensemaking/Giving Practices using Visual Representations »,  British Journal of Management, vol. 26, n°4, pp. 689-712

  • Garreau L., Mouricou P. (2012), « Sens, objets et stratégie en pratiques dans un projet immobilier », Revue Française de Gestion, vol. 2012/4, n°223, pp.137-152.

  • Journé B., Garreau L., Grimand A. (2012), « Face à la complexité : illusions, audaces, humilités », Revue Française de Gestion, vol. 2012/4, n°223, pp.15-25.

  • Garreau L. (2012), « La théorie enracinée. Une méthodologie permettant de proposer des cadres conceptuels depuis des données empiriques : l'exemple de l'opérationnalisation du concept de sens », Revue Internationale de Psychosociologie, vol.18, n°44, pp.89-115.


« Le dividende en actions est-il une bonne nouvelle pour les actionnaires ? »

Edith Ginglinger, Thomas David

Pourquoi les entreprises choisissent-elles de payer un dividende en actions, qui leur permet d’afficher un dividende nominal tout en gardant les fonds pour investir ? Les actionnaires apprécient-ils cette modalité particulière de distribution de dividendes ? Telles sont les questions auxquelles nous tentons de répondre dans cet article.

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Les entreprises françaises ont la possibilité de payer leur dividende en actions depuis 1983. Une résolution proposant cette option doit être soumise à l’assemblée générale des actionnaires, qui décide du prix d’émission des actions (supérieur à 90% de la moyenne des cours sur les 20 jours précédant l’AG). Chaque actionnaire choisit ensuite entre numéraire et actions pour la totalité de son dividende. Le dividende en actions permet à l’entreprise d’afficher un dividende nominal tout en conservant les fonds correspondants. Cette option, très utilisée au début des années 90, avait quasiment disparu ensuite, pour retrouver la faveur des entreprises depuis 2009, année durant laquelle plus de 25% des sociétés du CAC40 y ont eu recours. Le dividende en actions est concentré sur des périodes de conjoncture difficile, comme l’illustre le graphique suivant pour les sociétés du CAC40. Les entreprises qui y recourent ont une trésorerie moindre et un endettement plus important que celles qui ne le proposent pas.

 


On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles une entreprise choisit de payer un dividende en actions de préférence à une réduction de son dividende ou à la réalisation d’une augmentation de capital indépendante. Dans notre article, nous analysons cette question pour 287 sociétés françaises cotées, sur la période 2003-2012.

Si tous les actionnaires choisissent le dividende en actions, celui-ci est équivalent, en termes de cash-flows et de fonds propres à une suppression du dividende. Pour une entreprise en quête de fonds, cette dernière solution permet d’économiser les frais d’administration que génère immanquablement le paiement du dividende en actions. Mais la suppression du dividende est coûteuse par d’autres aspects : elle signale des perspectives médiocres et rompt le contrat implicite entre l’entreprise et l’actionnaire de versement de dividendes lissés, qui est la politique de dividende la plus fréquente. Nous montrons que ce sont les firmes qui sont les plus liées par ce contrat implicite (celles qui versent des dividendes élevés, les plus grandes, qui ont un actionnariat institutionnel important) qui proposent le dividende en actions, tandis que les firmes à actionnariat familial y recourent moins. Par ailleurs, si certaines entreprises proposent le dividende en actions plusieurs années de suite, il est le plus souvent offert une année ou deux, rarement plus de trois fois. De plus, la variation du résultat net est positive pour les entreprises qui proposent le dividende en actions tandis qu’elle est très négative pour celles qui réduisent le dividende d’au moins 30%. Le dividende en actions, pour les entreprises dont la situation de trésorerie ou d’endettement est dégradée, est de ce fait un signal favorable : il s’agit d’une réduction temporaire du dividende versé en cash, l’engagement du dividende à moyen terme étant maintenu.

Le dividende en actions peut également être envisagé comme une alternative à une augmentation de capital. En effet, il s’analyse comme un paiement de dividendes suivi d’un réinvestissement immédiat de ces fonds en actions. L’entreprise pourrait donc également distribuer le dividende normalement et procéder à une émission d’actions de montant équivalent. Notre analyse montre que le dividende en actions est utilisé dans des circonstances où le marché primaire est difficile d’accès (frais d’émission élevés, difficulté à trouver un syndicat bancaire prêt à garantir une émission d’actions). Les entreprises trouvent dans le dividende en actions un accès à une augmentation de capital qui ne serait pas disponible par une procédure classique, et qui de plus éviterait la réaction négative des cours habituellement constatée pour une émission classique.

Que l’on envisage le dividende en actions comme une alternative à une réduction de dividendes, ou comme une alternative à une émission d’actions, il peut être considéré comme un signal favorable pour le marché. La réaction des cours des actions à l’annonce d’une telle opération est positive et toutes choses égales par ailleurs similaire à celle observée à l’annonce d’un dividende en numéraire. Le taux de souscription des actionnaires, qui est en moyenne de 55% sur la période étudiée, montre également leur adhésion à ce mécanisme. On pourrait penser que les actionnaires profitent avant tout de la décote avec laquelle le dividende en actions est proposé. Si c’était le cas, on devrait observer des taux de souscription de 100% en présence de décote positive et de 0% dans le cas opposé. Or si le taux de souscription augmente avec la décote, il reste positif (34%) même lorsque celle-ci est négative. Ces observations montrent que le dividende en actions est un mécanisme permettant de conforter les capitaux propres de l’entreprise durant des périodes difficiles, tout en étant apprécié par les actionnaires.

APPLICATIONS

Le dividende en actions est une alternative appréciée par les actionnaires à un arrêt ou une réduction du dividende lorsque les ressources viennent à manquer pour maintenir le dividende versé jusque là. Les actionnaires sont prêts à réinvestir les fonds dans l’entreprise lorsque ce choix leur est offert, et les cours des actions réagissent positivement à cette proposition, alors que l’arrêt du dividende est en règle générale sévèrement sanctionné par les marchés.

Cette analyse a été publiée dans “Option Finance” n°1331, du 7 septembre 2015, à partir de l’article : Thomas David et Edith Ginglinger, 2016, When cutting dividends is not bad news: the case of optional stock dividends, Journal of Corporate Finance, 40, 174–191.


Édith Ginglinger est professeur de sciences de gestion à l’Université Paris-Dauphine et directrice du Master recherche en finance. Elle est vice-doyen de la recherche de PSL depuis septembre 2016. Elle a dirigé l’UMR CNRS Cereg, puis DRM (Dauphine Recherches en Management). Elle a assuré de nombreuses missions d’évaluation de la recherche (HCERES, ANR, CNRS…), a co-dirigé la chaire de recherche FBF-Dauphine-HEC « Finance d’entreprise » et a été membre du conseil scientifique de l’Autorité des Marchés Financiers. Elle a présidé le jury du concours national d’agrégation pour le recrutement de professeurs des universités en Sciences de gestion, 2014-2015. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, ainsi que de nombreux articles dans des revues internationales, en particulier Journal of Financial Economics, Review of Finance, Journal of Corporate Finance, Journal of Banking and Finance, International Review of Law and Economics.

Thomas David, Docteur 2016 en Sciences de Gestion à l’Université Paris-Dauphine, est spécialisé en Finance d’Entreprise. Il s’intéresse plus particulièrement à la gestion des liquidités des entreprises. Il étudie par ailleurs les politiques de rémunération des actionnaires des entreprises, ainsi que les relations clients-fournisseurs. Thomas David est diplômé du Master 104 Finance (spécialité Recherche) de l’Université Paris-Dauphine et a obtenu un diplôme d’ingénieur (spécialité Génie Mathématique) de l’Ecole Internationale des Sciences du traitement de l’information.

BIBLIOGRAPHIE

  • Brav, A., J. Graham, Harvey C., Michaely R., 2005. Payout policy in the 21st century, Journal of Financial Economics, 77, 483—527.

  • David T. and E. Ginglinger, 2016, When cutting dividends is not bad news: The case of optional stock dividends, Journal of Corporate Finance, 40, 174–191

  • Dong, M., Robinson, C., Veld, C., 2005. Why individual investors want dividends. Journal of Corporate Finance 12, 121–158.

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  • Leary, M.T., Michaely R., 2011. Determinants of dividend smoothing: empirical evidence, Review of Financial Studies, 24, 3197-3249.

  • Shefrin, H.M., Statman, M., 1984. Explaining investor preference for cash dividends. Journal of Financial Economics 13, 253–282.


« Introduction en bourse : l’information « crée » la liquidité… »

Carole Gresse

La sous-évaluation initiale d’un titre détermine souvent le succès de son introduction en bourse, puis sa liquidité sur le marché secondaire. Cette liquidité est-elle liée à la dispersion de l’actionnariat en un grand nombre d’investisseurs ? Ou à la couverture favorable de l’introduction par les analystes financiers, créant un engouement pour le titre, ou en d’autres termes, un « effet informationnel » sur sa liquidité ? Les auteurs de l’étude « Liquidity Benefits from IPO Underpricing: Ownership Dispersion or Information Effect » (Financial Management, 2015) – Carole Gresse, Jean-François Gajewski, professeur de finance à l’IAE Savoie Mont-Blanc, et Nesrine Bouzouita, docteur 2014 de l'Université Paris-Dauphine et Associate Professor à Paris School of Business – penchent pour la seconde hypothèse. Et le démontrent…

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Un prix d’introduction attractif, inférieur à sa « vraie valeur ». Telle semble la martingale pour réussir une introduction en bourse ou IPO (Initial Public Offering). Mais ce succès – si tant est qu’il se produit – et la liquidité du titre qui en résulte sont-ils dus seulement au grand nombre d’investisseurs attirés par la perspective de fructueuses plus-values ?

Cette explication fondée sur la dispersion de l’actionnariat, proposée par une étude australienne, ne satisfait pas Carole Gresse et Jean-François Gajewski, rejoints ensuite par Nesrine Bouzouita. Au fil de leur recherche, ils découvrent qu’« un titre sous-évalué lors de son introduction initiale, en prenant de la valeur les premiers jours, suscite l’intérêt des investisseurs et de la communauté financière. Les analystes vont produire alors plus d’information à son sujet : prévisions de bénéfices, recommandations aux investisseurs... Et c’est cet “effet informationnel” qui contribue à améliorer la liquidité du titre ».

Un échantillon de 326 IPO

Pour le démontrer, les enseignants-chercheurs constituent un échantillon de 326 introductions en bourse sur Euronext Paris, de 1995 à 2008, à partir des prospectus collectés dans la base de données de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), de données boursières et de données d’analystes extraites d’IBES (Institutional Brokers' Estimate System).

Ils peuvent ainsi analyser l’actionnariat avant et après l’introduction, mesurer sa dispersion après l’introduction, déterminer la sous-évaluation initiale du titre à partir des données boursières, et la liquidité dans les six mois qui suivent l’introduction. Quant à la couverture des introductions en bourse par les analystes financiers, ils la mesurent par le nombre d’analystes et de sociétés d’analyse qui ont suivi le titre, et le nombre de recommandations émises par les analystes.

Démonstration en deux étapes

Tout d’abord, les auteurs observent sur leur échantillon qu’il existe une relation positive entre la sous-évaluation initiale et la liquidité après l’introduction. Mais, selon eux, cela n’explique rien en soi. A partir de cela, ils mettent donc en œuvre une méthodologie de régression qui leur permet d’analyser les corrélations entre les variables.
« Dans une première étape, nous testons deux hypothèses : 1. la dispersion de l’actionnariat s’explique par la sous-évaluation initiale ; 2. la couverture par les analystes est liée à cette sous-évaluation. C’est la seconde hypothèse qui se vérifie : plus le titre est sous-évalué, plus il est suivi par les analystes.
Ensuite, dans une seconde étape, nous cherchons à expliquer la liquidité post-introduction par la couverture des analystes, en considérant la composante de cette couverture qui est prédite par la sous-évaluation initiale et une composante exogène. Nous trouvons alors que c’est bien la première composante – l’effet informationnel généré par la sous-évaluation – qui favorise la liquidité.
»
Cette recherche inédite a été présentée notamment au conseil scientifique de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). Elle approfondit une première enquête sur « le marché européen des IPO », menée par Carole Gresse et Jean-François Gajewski, en la confrontant aux données des analystes, domaine d’expertise de Nesrine Bouzouita.

APPLICATIONS OPÉRATIONNELLES

Les dirigeants d’entreprise introduisent généralement leur société en bourse pour mobiliser des capitaux. Ils peuvent craindre alors que cela ne disperse leur actionnariat et obère leur capacité de décision. Cependant, une sous-évaluation initiale « bien calculée » permet d’attirer les investisseurs et la couverture des analystes, débouchant sur un titre plus liquide après l’introduction.
Ce choix peut se justifier si la société souhaite réaliser plus tard une augmentation de capital. « Mais attention, prévient Carole Gresse, le problème est de trouver le bon compromis entre les fonds que l’entreprise veut lever et ce qu’elle recherche après l’introduction. Car plus vous sous-évaluez, moins vous levez de fonds. Attention à l’introduction low cost ! Il y a un juste équilibre à trouver. »

 

Carole Gresse est professeur de finance à l'Université Paris-Dauphine, où elle anime l'équipe de recherche DRM-Finance. Elle a été professeur invité à l’Université de Neuchâtel et à l’Université de Lugano en Suisse, et chercheur invité à l’UCL Mons en Belgique, à UNSW en Australie et à Columbia University. Ses recherches portent sur la microstructure des marchés et les introductions en bourse. Elle a publié plusieurs ouvrages en finance, notamment « Fragmentation des marchés d'action et concurrence entre systèmes d'échange » (Economica 2001), et plusieurs articles de recherche en microstructure des marchés financiers. Elle intervient également comme consultante auprès de banques, de bourses et d’autorités de marché.

BIBLIOGRAPHIE

  • Bouzouita N., Gajewski J.-F. & Gresse C. (2015) : Liquidity Benefits from IPO Underpricing: Ownership Dispersion or Information Effect. Financial Management, 44(4), 785-810, 2015.

  • Gajewski J.-F. & Gresse C. (2006) : A Survey of the European IPO Market. ECMI Research Paper n°2, 89 p.

  • Boutron E., Gajewski J.-F., Gresse C. & Labégorre F. (2006) : Les procédures d’introduction en bourse en Europe : évolution des pratiques et perspectives. Revue d’économie financière, vol. 82, 99-115.

  • Chenmanur T.J. (1993): The Pricing of Initial Offerings : A Dynamic Model with Information Production. Journal of Finance, 48, 285-304.

« Ordre/désordre : gérer la « pollution symbolique » »

Valérie Guillard

Ranger son bureau, classer ses livres dans sa bibliothèque, ordonner des objets dans une pièce… Quelle signification revêtent ces gestes banals ? S’appuyant sur les travaux de l’anthropologue britannique Mary Douglas, les trois chercheurs observent que les rapports à l’ordre et au désordre sont culturellement symboliques dans une société. La « pollution symbolique » est ce que l’on perçoit comme un désordre... parfois créatif ou nécessaire pour s’adapter à des situations imprévues.

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Selon Mary Douglas, nos gestes quotidiens de rangement s’inscrivent dans un système de classification symbolique propre à notre culture qui veut ordonner un monde visible. Ce qu’elle appelle « pollution symbolique », dans une société donnée, est tout ce qui menace ces classifications et fait que les objets ne sont pas « à leur place »

Dimension macrosociale… et microsociale

Si Mary Douglas met l’accent sur la dimension macrosociale, les trois chercheurs visent plutôt, par leur méthode d’enquête d’anthropologie visuelle, à analyser les différentes formes de la pollution symbolique au niveau microsocial. Ils ont réalisé leur étude en observant les pratiques quotidiennes de rangement de 25 personnes, d’âge et de catégories sociales variées, à partir de photos de lieux que ces personnes considèrent comme rangés et dérangés..

« En premier lieu, explique Valérie Guillard, l’étude montre que la plupart des classifications domestiques – contrairement à celles définies au niveau d’une société – ne sont pas organisées en catégories strictement hiérarchiques et délimitées une fois pour toutes. Les consommateurs assouplissent leurs classifications pour éviter leur transgression qui induirait une pollution symbolique, c’est-à-dire une source de stress.»

L’enquête montre également que, dans certains cas, les personnes pratiquent des transgressions pour intégrer les nouvelles contraintes de leur environnement. Les objets « non à leur place » ne provoquent alors pas de pollution symbolique. Un espace de travail apparemment en désordre est parfois vécu, pour certains, comme un facteur favorable à la créativité.

Cette recherche indique que, au-delà de la matérialité des biens, l’important est la façon dont les personnes s’organisent pour créer un environnement symboliquement non pollué, c’est-à-dire qu’ils considèrent comme tel selon leurs critères.

« Comprendre ces pratiques quotidiennes, soutient Valérie Guillard, aide à mieux comprendre pourquoi et comment les individus adaptent les règles culturelles à leur propre quotidien, comment le fait de gérer une accumulation d’objets dont la présence n’est pas apparemment utile les rassure. »

L’image idéale de « la maison »

La notion d’ordre/désordre évolue, non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps. Au XIXe siècle, période d’industrialisation et d’urbanisation du monde occidental, est apparue une nouvelle norme sociale de propreté et d’ordre qui s’est imposée dans les domaines public et privé, avec des variantes selon les milieux socio-culturels. L’ordre est central pour « tenir une maison ».

Aujourd’hui, les journaux de décoration, les émissions de télévision, les vitrines de magasins et même les sites Web véhiculent une image idéale de « la maison », du « home sweet home », avec une nouvelle image normative de l’ordre qui doit créer un sentiment de bien-être, le désordre ou « bazar » étant source de stress et d’inefficacité.

Une logique de classification différenciée

Le désordre pollue la classification culturelle selon laquelle les choses doivent être à une place déterminée. Mais, à un niveau microsocial, la logique de classification diffère souvent d’une personne à une autre, certaines percevant une « pollution », d’autres non.

Les personnes interrogées par les chercheurs utilisent de nombreuses règles de classification pour ranger leur domicile : la nature, la taille, la couleur, l’usage, la forme… ou l’utilisateur de l’objet. Ils donnent la priorité à la fonctionnalité (trouver l’objet facilement, minimiser le temps passé au rangement, rendre les produits dangereux inaccessibles aux enfants...), à l’esthétique (harmonie du rangement…) ou à la combinaison des deux.

« Mais, notent les trois chercheurs, la difficulté provient du fait que certains ne comprennent pas les règles des autres et voient la pollution là où les autres ne la voient pas. Ce qui fait écho à l’idée de Mary Douglas selon laquelle la pollution réside dans “l’œil de l’observateur” ».

De plus, les systèmes de classification domestiques – ou personnels, dans le cadre d’une entreprise – ne sont pas forcément bien organisés car ils résultent souvent d’une accumulation de règles qui s’empilent les unes sur les autres. Ces logiques multiples, qui ne sont pas nécessairement cohérentes, créent des systèmes de classification complexes et pas toujours logiques au niveau global, celui d’une société ou d’une entreprise.

Des pistes de recherches futures

Comprendre les pratiques quotidiennes aide à comprendre comment les consommateurs ou les personnes au travail adaptent les règles culturelles à leurs contraintes et opportunités de tous les jours.

De nouvelles recherches pourraient être menées sur ce sujet en prenant comme unité d’analyse l’entreprise afin de comprendre comment chacun de ses membres négocie la place des choses sur un espace de travail, comment chacun peut tolérer un ordre qui n’est pas le sien pour les affaires des autres, comment apprendre le rangement à de nouveaux collègues… et comment, au sein d’une entreprise, transmettre la conscience du risque éventuel lié à un désordre.

Un autre sujet d’étude pourrait être l’analyse d’un évènement tel qu’un déménagement qui crée une « rupture » et impose le développement d’une nouvelle classification avec la prise en compte des risques liés à de nouveaux désordres.

Enfin l’observation de l’environnement numérique des personnes – plus inquiétant encore que l’environnement physique, selon deux des personnes interviewées – et le risque de transgression de ses règles, notamment de sécurité, pourraient fournir un sujet de recherche particulièrement d’actualité.

APPLICATIONS

Comprendre et régler les conflits liés à l’usage de l’espace au domicile ou au bureau, en physique (espace de co-working, bureau partagé) ou en virtuel (plate-forme de travail virtuelle partagée).

D’après l’article « Home Sweet Messy Home: Managing Symbolic Pollution », publié dans Journal of Consumer Research en 2014.

 

Valérie Guillard, Maître de conférences HDR en marketing à l’Université Paris-Dauphine, membre de DRM-ERMES, spécialiste de la psychologie et des pratiques du consommateur, est co-auteur de cette recherche sur l’ordre et sa transgression, avec Delphine Dion, professeur associé à l’ESSEC, et Ouidade Sabri, professeur de marketing à l’Université Paris-Est. Valérie Guillard coordonne deux contrats de recherche financés par l’ADEME sur les objets de seconde main et le gaspillage. Elle a reçu un prix pour sa thèse sur les consommateurs qui gardent « tout », donnant lieu à la publication du livre « Garder à tout prix, une tendance très tendance » (Vuibert, 2013). Elle a également dirigé un ouvrage collectif sur l’accumulation d’objets, intitulé « Boulimie d’objets, l’être et l’avoir dans nos sociétés » (De Boeck Supérieur, 2014).

BIBLIOGRAPHIE

  • Dion D., Sabri O., Guillard V., (2014), Home Sweet Messy Home : Managing Symbolic Pollution, Journal of Consumer Research, Volume 41. n° 3, pp. 565-589

  • Dion, Delphine (2007), The Contribution Made by Visual Anthropology to the Study of Consumption Behavior, Recherche et Applications en Marketing, 22 (1), 61–78.

  • Durkheim, Emile, et Marcel Mauss (1903), De quelques formes primitives de classification : contribution à l’étude des représentations collectives, Année Sociologique, 6, 1–72.

  • Sabri, Ouidade, Delphine Manceau, and Bernard Pras (2011), Le tabou, un concept peu exploré en marketing, Recherche et Applications en Marketing, 25 (1), 59–86.

  • Baudrillard, Jean (1968), Le système des objets, Paris, Gallimard. (1998), Société de consommation : ses mythes, ses structures, London, Sage.

  • Douglas, Mary (1967), Purity and Danger: An Analysis of the Concepts of Pollution and Taboo, London, Routledge & Kegan Paul.


« Entre stabilité et nouveauté, les organisations émergentes s’autorégulent »

Anthony Hussenot

Comprendre comment émerge l’organisation des nouvelles activités et des projets innovants, tel est l’objectif de l’étude menée par Anthony Hussenot et Stéphanie Missonier. Tous deux s’appuient sur les théories des organisations, mais aussi sur la philosophie processuelle, avant d’étudier « in vivo » une banque luxembourgeoise et son comportement de survie après la crise des subprimes. Ils développent un cadre théorique pour mieux appréhender un monde en « constant devenir ». L’approche développée repose sur la prise en compte des événements passés, présents et anticipés pour comprendre comment les phénomènes organisationnels émergent et se maintiennent dans le temps.

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2008. La crise des subprimes ébranle le système bancaire mondial qui licencie à tour de bras pour faire face à la tempête. Pendant ce temps-là, au Luxembourg, une petite banque spécialisée dans le private banking choisit de conserver ses collaborateurs. « Les dirigeants estiment qu'il y aura toujours des postes indispensables pour assurer la pérennité de l'établissement. Ils décident alors de lancer un outil de gestion des compétences pour évaluer les collaborateurs et leur proposer, si nécessaire, une formation appropriée permettant de les réaffecter à d’autres postes où des besoins vitaux sont identifiés », racontent Anthony Hussenot et Stéphanie Missonier.

Une étude terrain

D’octobre 2008 à fin août 2009, deux jours par semaine sur le terrain, le premier accompagne les collaborateurs du département Ressources Humaines de Banca (dénommée ainsi pour les besoins de l’étude) et suit en interaction avec eux le développement de l’outil. A partir de cette étude de cas, les deux enseignants-chercheurs construisent une réflexion sur le rôle des événements passés, présents et anticipés, dans l’émergence de l’organisation de ce projet.

Les auteurs estiment en substance qu’après l’ère des structures fixes (le bâtiment, l’usine, les bureaux), est survenue celle des entreprises en réseau, puis celle des organisations en reconfigurations permanentes. Dans un monde en constante transformation, le dernier modèle tend à devenir la norme.

Le projet Banca n’est qu’un avant-goût de ces nouvelles formes organisationnelles. Celles-ci permettent d’anticiper le futur et d’imaginer constamment de nouveaux modes de collaboration comme on peut en observer, par exemple, dans les espaces de coworking ou les fablabs dans lesquels l’organisation des projets et des activités est en évolution permanente.

Ce mode d’organisation résulte d’un flux continu d’activités nouvelles qui reconfigurent continuellement les relations entre les acteurs. Anthony Hussenot le compare à un match de football dont l’organisation se prépare certes à l’avance, mais surtout se construit pendant le jeu.

« L’organisation de l’équipe évolue en fonction du déroulement du match, tenant compte par exemple des réactions de l’équipe adverse ; elle se construit en jouant, explique-t-il. Notre objectif est de développer un cadre théorique basé sur les événements – appelé events-based approach à la suite des travaux de Tor Hernes - pour comprendre l’organisation comme un phénomène qui émerge et se maintient uniquement dans les activités. Plus précisément, nous pensons que c’est en mobilisant les événements passés, présents et anticipés relatifs à l’activité que les acteurs structurent leurs actions, assurant ainsi une forme de continuité, malgré des changements permanents. Nous voulons ainsi démontrer qu’une coexistence créative de la nouveauté et de la stabilité est possible. »

Pas de dichotomie « stabilité/nouveauté »

La valeur ajoutée de l’étude est de deux ordres. D’une part, elle remet en cause l’approche traditionnelle dite « substantive » considérant l’organisation comme une entité stable qui change par accident ou par action délibérée. Et d’autre part, elle dépasse la dichotomie propre à la vision classique selon laquelle des phases de nouveauté et de stabilité se succèdent les unes aux autres. Alors que, dans « la vraie vie », ces deux phénomènes coexistent.

« Leur distinction est purement artificielle, concluent les deux enseignants-chercheurs. Comme dans nos activités quotidiennes, à la fois, nous reproduisons certaines caractéristiques de l’organisation (c’est la stabilité) et nous en produisons de nouvelles (c’est la nouveauté). A notre connaissance, cela n’avait pas été traité de manière conceptuelle dans la littérature sur les théories de l’organisation. »

APPLICATIONS

Poursuivant le développement de son cadre théorique pour appréhender l’émergence des nouveaux phénomènes organisationnels, Anthony Hussenot a réalisé entre octobre 2014 et juin 2015 une ethnographie dans un Makerspace appelé « Ici Montreuil ». Des artistes, des artisans, des designers, des architectes… viennent dans cet espace de travail pour y trouver les ressources dont ils ont besoin : imprimantes 3D, autres équipements et savoir-faire. Puis, profitant d’un contexte favorable à la création, ils sont souvent conduits à développer ensemble de nouveaux produits et donc de nouvelles formes organisationnelles.

Ces Makers se situent à l’intersection de l’artisanat, du high tech et de l’art. Beaucoup d’entre eux utilisent des outils numériques ou incluent du numérique dans des objets traditionnels comme par exemple des bijoux.

D’après l’article «Encompassing Stability and Novelty in Organization Studies: An Events-based Approach», publié dans  Organisation Studies en 2015

 

Anthony Hussenot est Maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Paris-Dauphine, membre de M&O, spécialisé théories des organisations et management. Ses recherches et enseignements traitent des innovations organisationnelles, des nouvelles pratiques de travail et de collaboration et s'ancrent dans le champ des approches processuelles. Il a publié ses travaux dans différentes revues telles que Journal of Organizational Change Management, Organization Studies, Système d’Information et Management, dont un récent article intitulé : « Encompassing Stability and Novelty in Organization Studies: An Events-Based Approach » dans la revue Organization Studies, avec Stéphanie Missonier, Assistant Professor à HEC Lausanne.

BIBLIOGRAPHIE

  • Hussenot A., Missonier S., (2015), Encompassing Stability and Novelty in Organization Studies: An Events-based Approach. Organisation Studies, I-24.

  • Helin J., Hernes T., Hjorth D., Holt R., (Eds.), (2014), Process Philosophy and Organization Studies: Oxford Press University.

  • Hernes T., (2014), A Process Theory of Organization : Oxford University Press.

  • Mead George Herbert, (1932), The Philosophy of the Present. Open Court Company, Chicago.

  • Alfred North Whitehead (1929 {1978}). Process and reality. New York, NY: The Free Press. (1938). Modes of thought. New York, NY: The Free Press.


« Looking back at the Volkswagen Scandal »

Julien Jourdan

For all the turmoil they create, corporate scandals have a bright side: they provide virtuous organizations with a competitive advantage. The Volkswagen case illustrates how scandals contribute to shape competition and industry evolution by exposing the dark side of the corporate world.

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2015 was supposed to be a year of honors and glory: Volkswagen (VW) was about to steal the crown from Japanese rival Toyota and reign over the global automobile market. Then came September and the revelation that one of the most admired companies in the world had falsified engine emissions tests. In a matter of days, dishonor and shame fell upon the corporation and its top management, accused of cheating, lying, and “breaking the trust” of its customers and the public. The Tarpeian rock, the Ancients knew well, is close to the Capitol.

And VW fell hard. A fourth of the company’s market value evaporated. Public outrage soared, forcing CEO Martin Winterkorn to resign. The firm lost ground in all major markets, retreating from the leading positions it had patiently built over decades. Adding insult to injury, legal bills and liabilities started piling up as prosecutors across the globe were investigating fraudulent practices. A year into the scandal, nobody knows how long it will take for VW to fully recover. The healing process involves explanation, contrition, and rehabilitative change. The hubristic “Das auto” tagline is already history. Major management and strategic changes are under way. No doubt the turnaround will require considerable expense and time.

Scandals are intriguing social phenomena. They involve misconduct, real or alleged, that runs counter to established moral norms. Surprisingly, the transgression is often known. In Victorian London, Oscar Wilde’s homosexuality was public knowledge but was ignored until a trial brought it to the forefront of the debate. Early evidence of VW misconduct was published in a 2014 scientific study but remained under the radar. Publicity is what turns transgression into a scandal: it acts as a detonator, forcing third parties who might have otherwise turned a blind eye to denounce the perpetrators. Once the story is out there, bystanders have no other option than condemning the publicized transgression. Scandals then start diffusing. In the age of social media and instant global news, they spread like wildfire.

Quickly, former associates of the perpetrator and actors categorized as being similar suffer from a suspicion of culpability. “If VW does it, others are probably doing it, right?” At this point, being guilty or innocent does not really matter. The taken-for-granted assumption that corporations act in a morally acceptable manner vanishes; entire sectors become subject to public scrutiny. The practices of Ford, BMW, Renault-Nissan, and others, are questioned. Eventually, misbehavior at one firm casts a cloud over a whole industry.

Corporate scandals are not always bad news though. When they weaken one or more central players, they open market opportunities to competitors. In the aftermath of the Enron scandal, for instance, the ‘big four’ audit firms ended up capturing most of the former Andersen’s clients. In November 2015, Fiat-Chrysler and Volvo both recorded all-time high sales in the U.S. Scandals may also have a greater virtue: they call attention to moral issues and durably affect how consumers and key stakeholders evaluate organizations. In an ongoing research project with a researcher at Columbia University, we find evidence that organizations providing a close substitute to the offer of the perpetrator and known for enforcing stricter norms of conduct are best positioned to benefit from a scandal. In all, scandals provide the most virtuous firms with a competitive hedge, contributing to positively shape the evolution of industries.

One year has passed and the automobile industry is already different. The boundary of what is acceptable has shifted: since playing with tests is no longer an option, actual emission reductions are in order. In the post-scandal car industry, the players able to innovate and offer truly cleaner propulsion systems are the ones that will survive and thrive.

MANAGERIAL INSIGHTS

The nascent literature on organizational scandals suggests a two-fold strategy when a scandal hits your industry, involving both defensive and offensive moves.

Act quickly to limit potential fallouts:
1. Dissociate your organization from the scandalous firms (e.g., cut visible ties with VW);
2. Dilute the categorical stigma created by the scandal (e.g., develop and highlight non-diesel products);

Swiftly seize scandal related opportunities:
3. Promote your products or services that best serve the stakeholders (e.g., clients, employees) defecting the implicated firms and, when possible, swiftly adapt your offering (e.g., advertise the closest substitute to VW bestsellers);
4. Emphasize your organization’s reputation for enforcing strict norms of conduct (e.g., develop and spread stories about how the firm does not tolerate any form of misconduct).

Don’t get caught off guard: building a reputation for strictness requires continuous efforts over a long time period. Once the scandal breaks, it might already be too late.


Julien Jourdan is a Professor at Université Paris-Dauphine, and a member of the DRM research center. He received his PhD in Strategic Management from HEC Paris, and held academic positions at Imperial College London and Bocconi University. His research focuses on the strategic implications of organizational financing and resource acquisition, conformity, and social valuation. His work appears in top academic journals, including the American Journal of Sociology and the Academy of Management Journal. Before joining academia, he worked as an executive for a major film company.

BIBLIOGRAPHIE

  • Pfarrer, M. D., Decelles, K. A., Smith, K. G., & Taylor, M. S. 2008. After the Fall: Reintegrating the Corrupt Organization. Academy of Management Review, 33(3): 730–749.

  • Adut, A. 2005. A Theory of Scandal: Victorians, Homosexuality, and the Fall of Oscar Wilde. American Journal of Sociology, 111(1): 213–248.

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  • Piazza , A., & Jourdan J. 2016. When the Dust Settles: The Consequences of Scandals for Organizational Competition. Working paper.

  • Vergne J.P. 2012. Stigmatized categories and public disapproval of organizations: A mixed-methods study of the global arms industry, 1996–2007. Academy of Management Journal, 55(5), 1027-1052.


« La satisfaction client influe-t-elle sur les prévisions financières ? »

Paul-Valentin Ngobo

Les prévisions de performance financière des entreprises, réalisées par les analystes, ne dépendent pas seulement d’informations financières. Des données comme le niveau de satisfaction client commencent à être prises en compte. Dans ce domaine, l’indice ASCI (American Customer Satisfaction Index), réalisé par l’Université du Michigan, fait référence aux Etats-Unis. « Et pourtant, malgré sa pertinence, sa publication ne modifie pas le comportement des analystes, concluent à l’issue de leur recherche Paul-Valentin Ngobo, Jean-François Casta et Olivier Ramond, tous trois Professeurs à Dauphine. Diffusé trimestriellement, cet indice arrive “trop tard” pour être intégré dans des prévisions à court terme : il n’a donc pas d’impact immédiat sur les analyses financières. Par contre, ce peut être un indicateur utile pour des mises en perspective à moyen terme. »

En savoir plus

L’ASCI est réalisé chaque trimestre par l’Université du Michigan à partir de sondages effectués auprès de plus de 75 000 consommateurs américains. Il constitue un baromètre de référence en matière de satisfaction client, aussitôt diffusé dans Business Week, le Wall Street Journal, Forbes Magazine...

Un baromètre pertinent…

Pour constituer l’indice, l’Université du Michigan considère environ 250 personnes pour chacune des entreprises étudiées dans différents secteurs d’activité. L’indice ASCI permet de comparer les scores de satisfaction d’entreprises d’un même secteur, les scores d’un secteur à l’autre… et aussi leur évolution dans le temps par rapport aux cycles économiques. « Mais il fait débat du point de vue des marchés financiers fonctionnant dans l’immédiateté », souligne Paul-Valentin Ngobo.

Ce débat est introduit en 2006 par l’inventeur de l’indice lui-même, Claes Fornell, s’étonnant que les analystes ne réagissent pas à sa publication alors que les investisseurs pourraient surperformer le marché boursier en achetant des actions de sociétés dont le score de satisfaction client est le plus élevé du secteur.

… mais une erreur de méthodologie

En réaction à cette prise de position de Claes Fornell, les économistes Robert Jacobson et Natalie Mizik estiment que l’ASCI n’est pas repris par les analystes, non pas à cause de son manque d’intérêt mais d’une erreur de méthodologie. « L’indice ACSI est publié trimestriellement à partir de sondages réalisés les trois mois précédents, constate Paul-Valentin Ngobo. Or les analystes financiers disposent d’autres sources d’information plus récentes : conférences et communiqués de presse, conference calls, roadshows… L’information satisfaction délivrée par l’indice ACSI est pertinente, mais elle arrive trop tard. De ce fait, elle ne répond pas aux besoins des analystes financiers pour leurs prévisions à court terme. »

Pas d’impact immédiat…

Dans le but de clore le débat, Paul-Valentin Ngobo, Jean-François Casta et Olivier Ramond répondent à un appel à projets du Marketing Science Institute de Boston qui s’intéresse tout particulièrement au lien entre marketing et finance. Le trio d’enseignants-chercheurs fait tourner ses modèles et démontre ainsi que la publication trimestrielle de l’ASCI n’a pas d’impact immédiat sur les prévisions financières des analystes.

« L’ASCI étant calculé à partir d’une base de données trimestrielles, collectées auprès de 111 sociétés cotées à New York, nous avons tenté de corréler ces données aux prévisions trimestrielles de 1 671 analystes sur une période de dix ans (1995-2004) », détaillent les enseignants-chercheurs.

Menée sur cet échantillon, leur étude fait apparaître que les analystes ne sont pas influencés par la divulgation de l’indice ACSI en tant que tel, car ils intègrent l’information sur la satisfaction client provenant d’autres sources, bien avant la publication des scores statistiques.

Paradoxalement, l’étude fait ressortir aussi que les analystes, pour leurs prévisions de résultats, ont tendance à réagir positivement aux autres sources d’information que l’ASCI quand elles sont positives et à moins en tenir compte quand elles sont négatives. « En raison d’un excès d’optimisme, dans le premier cas, et d’une réticence à reconnaître les pertes futures, dans le second cas », expliquent Paul-Valentin Ngobo, Jean-François Casta et Olivier Ramond.

… Mais une corrélation à moyen terme

Arrivés au bout de leur démonstration, nos trois chercheurs estiment que, à moyen terme, le baromètre ACSI fournit cependant une bonne approximation des efforts réalisés et des améliorations obtenues afin d’établir une corrélation entre la satisfaction et la rentabilité… donc, indirectement, un lien entre la satisfaction client et la performance financière d’une entreprise.

« L’indice ASCI, conclut Paul-Valentin Ngobo, peut alors enrichir la connaissance des processus de fond dans une perspective plus longue. »

APPLICATIONS PRATIQUES

Dans leurs recherches, Paul-Valentin Ngobo, Jean-François Casta et Olivier Ramond utilisent l'indice ACSI pour modéliser l'évolution des cash flows de l'entreprise, l'évolution de son credit rating par les agences de notation, sa capitalisation annuelle, les bénéfices futurs, ou encore la volatilité de ses rendements.

Paul-Valentin Ngobo encadre actuellement une thèse de doctorat réalisée par David Rutambuka qui essaie d'expliquer l'impact d'une fusion-acquisition sur la valeur boursière de l'entreprise à travers ses effets positifs ou négatifs sur la satisfaction client.

D’après l’article «Is customer satisfaction a relevant metric for financial analysts? » publié dans Journal of the Academy of Marketing Science en 2012

 

Paul-Valentin Ngobo, enseignant-chercheur en sciences de gestion / marketing à l’Université Paris-Dauphine, membre de DRM-ERMES, a démontré avec ses collègues Jean-François Casta et Olivier Ramond, enseignants-chercheurs en finance à Dauphine, que l’évolution de l’indice ASCI, référence aux Etats-Unis en matière de satisfaction client, n’avait pas d’impact sur les prévisions financières des analystes. Dès sa thèse de doctorat, préparée en 1997 à l’Institut d’Administration des Entreprises de l’Université Montpellier II, le champ de recherche privilégié de Paul-Valentin Ngobo est la satisfaction client. Il exerce à l’IAE comme maître de conférences pendant trois ans. En 2001, il obtient l’agrégation pour devenir professeur des universités à l’Université d’Angers où il enseigne pendant sept ans. Puis il professe à l’IAE d’Orléans pendant six ans, avant de rejoindre Dauphine… sa 4e université !

BIBLIOGRAPHIE

  • Ngobo P-V., Casta J-F., Ramond O., Is customer satisfaction a relevant metric for financial analysts?, Journal of the Academy of Marketing Science, 80, 2012, p. 480-508.

  • C. Fornell, M.D. Johnson, E.W. Anderson, J. Cha and B. Bryant (1996),The American customer satisfaction index: description, findings, and implications, Journal of Marketing, 60, 7–18.

  • R. Orens and N. Lybaert (2007), Does the financial analysts’ usage of nonfinancial information influence the analysts’ forecast accuracy? Some evidence from the Belgian sell-side financial analyst, International Journal of Accounting, 42(3), 237–271.

  • Robert Jacobson et Natalie Mizik, Assessing the value-relevance of customer satisfaction, Social Science Research Network, 21 mars 2009. Customer Satisfaction-Based Mispricing: Issues and Misconceptions, Marketing Science, vol. 28, no. 5, septembre-octobre 2009.


« Greenwashing d’exécution : quand la publicité évoque la nature pour influencer le consommateur… »

Béatrice Parguel et Florence Benoît-Moreau

Le greenwashing d'allégations – partielles ou trompeuses – ne fait plus recette. Plus subtil est le greenwashing d'exécution qui, en arrière-plan d'une publicité, utilise des éléments graphiques ou sonores évoquant la nature pour influencer le consommateur. C'est ce que démontrent trois chercheures – Béatrice Parguel, Florence Benoit-Moreau et Cristel Antonia Russell, professeure associée en marketing à l’American University (Washington, DC) – en testant les effets de plusieurs versions d'une campagne publicitaire. En conclusion de leur étude publiée en janvier 2015, « Can evoking nature in advertising mislead consumers? The power of ‘executional greenwashing’ », elles proposent une solution pour informer plus objectivement le consommateur.

En savoir plus

Les années 2000 marquent un tournant pour la publicité « verte ». L’action des associations de consommateurs et des ONG, puis, en France, le Grenelle de l’Environnement en 2008, réussissent à décrédibiliser les campagnes publicitaires basées sur des allégations trompeuses ou partielles. Le BVP (Bureau de Vérification de la Publicité) se transforme en ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) pour traquer le « greenwashing d’allégation ».
Mais cela ne suffit pas. L’argument environnemental revient « par la fenêtre » sous une forme plus subtile : le « greenwashing d’exécution ». À travers des éléments d’exécution graphique ou sonore d’ordre symbolique qui évoquent la nature (couleur verte, images de forêts, bruit de cours d’eau ou de chants d’oiseau…), la publicité influence beaucoup plus efficacement la perception des consommateurs.

« Ce problème nécessite de mieux comprendre le processus de persuasion publicitaire pour développer des instruments de politiques publiques appropriés. »

Les co-auteurs de l’étude sont les premières à avoir décrypté cette forme de publicité. Elles testent leur concept de « greenwashing d’exécution » en exposant plusieurs échantillons de consommateurs à une publicité automobile en ligne et elles les interrogent ensuite sur leur perception du produit.

Trois expérimentations

Dans la première expérimentation, un premier groupe est exposé à une publicité sur fond blanc, avec le prix comme seule indication chiffrée. Un second groupe est soumis à la même annonce mais avec un arrière-plan photographique et sonore évoquant une forêt tropicale : l’image écologique du produit fait un bond, en particulier chez les consommateurs « non experts » dans le domaine automobile.
Dans la seconde expérimentation, un autre groupe est exposé à la même publicité que le groupe précédent, avec l’ajout du taux d’émission de CO2 de la voiture (fort ou faible). Les « non experts » réagissent toujours favorablement à la présence d’éléments d’exécution évoquant la nature, quel que soit le taux d’émission de CO2, tandis que la courbe est quasiment plate chez les « experts », non convaincus par cette promesse artificielle de « propreté ».

Pour un système d’étiquetage multicolore

Avec leur troisième expérimentation, les chercheures testent une solution d’information plus explicite. Elles intègrent à la publicité précédente un système d’étiquetage multicolore avec mise en avant de la couleur indiquant le niveau écologique de la voiture, à l’instar de l’étiquetage énergétique des produits électroménagers. « Dans ce dernier cas, concluent Béatrice Parguel et Florence Benoit-Moreau, les consommateurs experts et non experts réagissent de la même façon. Leur image écologique du produit se fonde sur la valeur des émissions carbone, et non plus sur le paysage de fond ou le bruit d’oiseau. L’effet trompeur du greenwashing d’exécution est alors contrecarré. »
Cette recherche, en s’appuyant sur le modèle ELM (Elaboration Likelihood Model), prouve que les éléments d’exécution publicitaire peuvent renforcer artificiellement la perception qu’ont les consommateurs des vertus écologiques d’un produit ou d’une marque.

RECOMMANDATIONS

Pour ne pas tomber dans le piège du greenwashing, Béatrice Parguel et Florence Benoit-Moreau recommandent à une entreprise ou organisation provoquant des désordres environnementaux :
- de ne pas promouvoir son produit ou sa marque en utilisant des arguments écologiques et/ou des éléments d’exécution évoquant la nature ;
- de présenter les efforts de recherche en cours pour diminuer son impact environnemental ;
- de diffuser des données factuelles qui attestent de la réalité de ces efforts.

 

Béatrice Parguel, chercheure CNRS au sein de l’Université Paris-Dauphine et membre de DRM-ERMES, anime le Center for Marketing and Public Policy Research qui explore les enjeux sociétaux de la consommation. Les recherches conduites par Béatrice Parguel en psychologie de la consommation s’appuient sur la méthodologie expérimentale. Elles visent des implications directes pour les pouvoirs publics, notamment en matière d’information et d’éducation des consommateurs : étiquetage environnemental pour contrecarrer le greenwashing, éducation des enfants à l’écologie, réduction des suremballages.... Elles ont notamment été publiées dans International Journal of Research in Marketing, Journal of Business Ethics, Journal of Business Research et International Journal of Advertising.

Florence Benoit-Moreau, maître de conférences à l’Université Paris-Dauphine et membre de l’équipe ERMES de DRM. Ses recherches portent sur la consommation responsable et les modes de vie durables (communication environnementale sous l’angle des politiques publiques) ainsi que sur la consommation collaborative (participation du consommateur, économie du partage…). Ses travaux sont publiés dans des revues internationales comme Journal of Business Ethics, International Journal of Advertising, Journal of Consumer Policy ou françaises : Décisions Marketing, Revue Française de Gestion…

BIBLIOGRAPHIE

  • Béatrice Parguel, Florence Benoit-Moreau & Cristel Antonia Russell (2015), Can evoking nature in advertising mislead consumers? The power of ‘executional greenwashing’, International Journal of Advertising: The Review of Marketing Communications, January 2015.

  • 7e Rapport d’études ADEME / ARPP « Publicité et environnement » (2014).

  • Parguel Béatrice & Benoit-Moreau Florence (2013), Counterproductive environmental performance displays: Lessons from the automotive sector, Public Policy & Marketing Conference, Washington, USA, 30 may-1 june.

  • Delmas Magali A. & Burbano Vanessa C. (2011), The drivers of greenwashing, California Management Review, 54, 1, pp. 64-87.

  • Parguel Béatrice & Benoit-Moreau Florence (2011), Building brand equity with environmental communication: an empirical investigation in France, EuroMed Journal of Business, 6, 1, pp. 100-116.

  • Parguel Béatrice, Benoit-Moreau Florence & Larceneux Fabrice (2011), How sustainability ratings might deter “greenwashing”: A closer look at ethical corporate communication, Journal of Business Ethics, 102, 1, pp.15-38.

  • Benoit-Moreau Florence, Parguel Béatrice & Larceneux Fabrice [2009], Comment prévenir le  « greenwashing » ? L’influence des éléments d’exécution publicitaire in Bernard Pras (ed.), Management : Tensions d’aujourd’hui, Paris : Vuibert, pp. 365-376.


« Jouer son rôle au travail : quand les attentes perçues sont sources de tensions »

Serge Perrot, Mélia Djabi

Jouer son rôle au travail, c’est faire face aux multiples attentes que l’on perçoit. À travers une analyse des recherches (théorie des rôles) et une enquête terrain, l’article analyse le concept de tensions de rôles en mettant en lumière ses principales dimensions.

En savoir plus

Jouer son rôle au travail, c’est faire face aux multiples attentes inhérentes au rôle que l’on tient. Les attentes peuvent venir des nombreux acteurs qui nous entourent comme les managers, collaborateurs, collègues, clients, fournisseurs, etc. Nous nous intéressons ici à la manière dont ces attentes sont perçues par le salarié et aux tensions qu’elles peuvent générer. Il ne s’agit donc pas d’évoquer toutes les formes possibles de tensions au travail, ce qui constituerait sans doute une liste large au contenu très hétérogène, mais de nous concentrer sur les tensions propres au rôle que l’on a et des attentes, explicites ou implicites, qui lui sont associées.

Notre recherche met en évidence quatre dimensions principales de tensions de rôles vécues par les salariés :

  1. Les attentes excessives. Il s’agit des situations dans lesquelles le salarié perçoit qu’il est difficile de faire face aux attentes en raison d’un manque de temps, de budget, de ressources, etc.
  2. Les attentes contradictoires. Les différents acteurs avec qui nous travaillons peuvent avoir des attentes différentes, voire contradictoires. C’est le cas lorsque la satisfaction des uns rend impossible la satisfaction des autres. On peut citer par exemple le cas des personnes en contact avec la clientèle qui doivent appliquer des consignes contraires aux attentes des clients.
  3. Les attentes ambigües. On parle dans ce cas d’ambiguïté de rôle, lorsque la clarté des attentes n’est pas au rendez-vous et que le salarié ne sait pas réellement ce qui est attendu de lui.
  4. Les attentes en conflit avec celles de l’individu. C’est le cas par exemple lorsque l’individu doit faire des choses contraires à ses valeurs, à sa façon de concevoir son travail, etc.

En complément de ces dimensions structurantes, nous avons également pu observer différents objets sur lesquels portent les attentes : il s’agit du contenu du travail (ce que je fais), de la manière de le réaliser (comment je le fais), et de l’évaluation des résultats (sur quoi je suis évalué/e).

Notre grille d’analyse des tensions de rôles permet de croiser ces 4 dimensions structurantes avec les 3 objets évoqués, comme l’illustre le tableau suivant qui reprend des extraits de verbatim recueillis sur le terrain. Par souci de confidentialité, certains passages sont remplacés par des lettres (A, B, C).

APPLICATIONS PRATIQUES

La grille d’analyse présentée, et notamment ses quatre dimensions structurantes, permet de construire une représentation simple et parlante du concept de tensions de rôles au travail. Il s’agit de mieux appréhender la manière dont le rôle des salariés peut être source de tensions vécues, afin de les diagnostiquer et les gérer. Au-delà de cette compréhension qualitative, un diagnostic pourrait bien entendu inclure une échelle de mesure. Ce sera l’objet d’une prochaine publication.



Mélia Djabi, Docteur 2014 de l'Université Paris-Dauphine, est maître de conférences à l’Université Paris-Sud (Paris Saclay). Ses domaines d’enseignement et de recherche recouvrent le Management et la Gestion des ressources humaines. Elle publie des articles et communications académiques sur trois principaux thèmes, tous rattachés à un contexte de changement organisationnel : la socialisation au travail, les tensions de rôle et la diversité générationnelle.

Serge Perrot est Professeur de management à l’Université Paris-Dauphine, au sein du laboratoire DRM (Dauphine Recherches en Management). Il intervient en gestion des ressources humaines à travers des activités d’enseignement, de recherche, et de collaborations avec des entreprises. Il a récemment réalisé 2 contrats de recherche sur la question de l’engagement des collaborateurs avec l’Observatoire de l’engagement.

L’article a également fait l’objet d’une autre synthèse publiée sur le site The conversation : http://theconversation.com/des-salaries-sous-tensions-limpact-des-attentes-percues-au-travail-66450

BIBLIOGRAPHIE

  • Djabi, M. et Perrot, S. (à paraître). « Tensions de rôles : Proposition d’une grille d’analyse », Management International.


« Industrie automobile : déterminer le risque de rupture de stock optimal »

Mustapha Sali

Des millions, voire des milliards de combinaisons d’options possibles pour choisir la voiture de ses rêves. Cet hyperchoix du consommateur crée un casse-tête pour les gestionnaires de stock dans l’industrie automobile, caractérisée par une production de masse de produits fortement diversifiés. Un champ de réflexion idéal pour Mustapha Sali qui a consacré sa thèse de doctorat dans le cadre d’une convention CIFRE (Convention Industrielle de Formation par la Recherche) avec Renault à la détermination du « risque optimal de rupture de stock d’un composant monté sur une ligne d’assemblage, en cas d’approvisionnement d’urgence ». Il a réalisé cette étude, sous la supervision de Vincent Giard, professeur à l’Université Paris-Dauphine, en coopération avec l’équipe opérationnelle Supply Chain du constructeur automobile.

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Au royaume de l’automobile, les clients ont l’embarras du choix. Celui du modèle, mais aussi celui de la couleur, de la motorisation, de la boîte de vitesses, de l’habillage intérieur… La multiplicité de ces options de configuration d’un véhicule – caractéristique du secteur automobile – a des implications très fortes du point de vue industriel. Elle complique très fortement la gestion des approvisionnements de la chaîne logistique en composants et pièces auprès des fournisseurs. Parce que, tout simplement, il est difficile de prévoir les choix des clients.

Des modules alternatifs

« Cette diversité de configurations se chiffre en millions, voire plusieurs milliards de produits finis différents, estime Mustapha Sali. Du coup, gérer les pièces qui vont servir à assembler physiquement les véhicules conduit les industriels de l’automobile à réaliser des prévisions, non pas au niveau des produits finis, mais au niveau de modules alternatifs. Ces modules sont par exemple des moteurs qui, eux-mêmes, se distinguent par plusieurs déclinaisons (essence, diesel), se déclinant à leur tour en cylindrées… ».
Le service commercial fera alors des prévisions à ce niveau de nomenclature et non pas à partir des produits finis. Il indiquera par exemple : « Dans les six prochains mois, 20% de la demande porteront sur des moteurs essence 1.2 (1,2 litre), 15% sur des moteurs essence 1.6, 40% sur des moteurs diesel 1.4, etc. ».
Ces prévisions données en pourcentages seront ensuite utilisées pour gérer les approvisionnements. Le gestionnaire industriel combinera ces pourcentages avec des volumes de production pour déterminer la quantité de composants - pistons, cylindres – nécessaires à l’assemblage du « module moteur ».

Rupture de stocks = arrêt de ligne d’assemblage

« L’étude s’inscrit dans cette problématique d’approvisionnement d’un secteur de production de masse de produits fortement diversifiés où la rupture de stock est extrêmement pénalisante, souligne l’auteur. Une minute d’arrêt de ligne d’assemblage peut représenter jusqu’à plusieurs milliers d’euros de manque à gagner : opérateurs en chômage technique, pénalités commerciales pour retards de livraison… »
Lorsqu’il anticipe un risque de rupture sur tel ou tel composant, le gestionnaire va alors déclencher un « approvisionnement d’urgence », quitte à se faire livrer du Japon un composant électronique par avion pour éviter les arrêts de chaine.
La question est alors de déterminer à partir de quel niveau de stock il faut faire appel à des approvisionnements d’urgence pour éviter un arrêt de production. Afin d’optimiser les coûts, il s’agira d’arbitrer entre la possession d’un stock important et le recours aux procédures d’urgence.

Bien positionner le curseur…

À ce stade, l’enseignant-chercheur propose d’optimiser la fonction de coût qui est la somme d’un coût de rupture et d’un coût de possession de stocks. « Nous restons dans une gestion des stocks très classique qui consiste à positionner le curseur de manière à choisir le risque de rupture optimal qui permet de dimensionner le stock de sécurité minimisant la somme du coût de transport d’urgence et du coût de possession de stocks. »
Cependant, la méthode proposée par Mustapha Sali est originale à double titre. D’une part, elle s’inscrit dans le contexte d’une production de masse de produits diversifiés où la modélisation de la demande ne se fait pas au niveau des produits finis mais au niveau des « modules alternatifs ».
Et d’autre part, elle introduit dans la modélisation un approvisionnement d’urgence qui combine un coût fixe (indépendant de la quantité du dépannage) et un coût variable (fonction des caractéristiques morphologiques des pièces), laissant toutefois au décideur la possibilité de choisir l’une ou l’autre des tarifications de prestation logistique. Pour faire face à des situations où le dépannage d’urgence représente non pas une combinaison des deux, mais soit un coût fixe, soit un coût variable, l’auteur a développé un modèle d’aide à la décision qui permet aux managers industriels de faire le meilleur choix.
Les modèles classiques de gestion des stocks s’appuient sur une modélisation de la demande au niveau des produits finis et mobilisent des fonctions de coût qui se limitent généralement à leur composante variable. La proposition faite par Mustapha Sali constitue une avancée par rapport à ces modèles dans la mesure où elle intègre pour la première fois les spécificités des systèmes de production de masse de produits diversifiés dans une perspective de gestion opérationnelle des approvisionnements d’urgence.

APPLICATIONS OPÉRATIONNELLES

L’auteur a pu expérimenter chez Renault sa méthode pour simuler, localement, des décisions non liées aux « macro-processus » des systèmes d’information du constructeur automobile. Il a mis en place la dernière partie du modèle qui consiste à aider les décideurs à choisir un prestataire logistique face à un besoin d’approvisionnement d’urgence. Au-delà de la modélisation, cette recherche a permis d’initier chez le constructeur une réflexion sur la gestion des approvisionnements d’urgence et une nouvelle étude visant à redéfinir les politiques de gestion des pénuries.

 

Mustapha Sali, Docteur 2012 en Sciences de gestion à l'Université Paris-Dauphine, est maître de conférences en gestion industrielle et logistique à l’Université Paris-Dauphine, en charge du Master Management des processus de production de biens et services. Chercheur à Dauphine Recherches en Management (DRM) et membre de MLab, il s’intéresse particulièrement aux nouvelles démarches de planification industrielle en contexte de production de masse fortement diversifiée.

BIBLIOGRAPHIE

  • Sali M. & Giard V. (2015) : Optimal stock-out risk when demand is driven by several mixed-model assembly lines in the presence of emergency supply, International Journal of Production Research.

  • Sali M. (2012) : Exploitation de la demande prévisionnelle pour le pilotage des flux amont d’une chaîne logistique dédiée à la production de masse de produits fortement diversifiés, PhD Dissertation, Université Paris-Dauphine.

  • Giard V. & Sali M. (2012) : Pilotage d’une chaîne logistique par une approche de type MRP dans un environnement partiellement aléatoire, Journal européen des systèmes automatisés, vol. 46 n°1, p.73-102.

  • Giard V. (2003) : Gestion de la production et des flux, Economica, 3e édition.

  • Hill A. V., Giard V. & Mabert V. (1989) : A decision Support System for determining optimal retention stocks for service parts inventories, IIE Transaction, vol. 21 n°3, p.221-229.


« Tunisie : quand un syndicat devient force d’équilibre… »

Hèla Yousfi

3 ans d’enquête ethnographique auprès des syndicalistes qu’elle a observés au cœur de leur action. 60 entretiens semi-directifs. Un travail titanesque de recherche documentaire. Et de fréquents échanges pendant ces trois années avec les responsables de la centrale syndicale historique. Hèla Yousfi n’a pas ménagé son énergie pour aboutir à ce livre qui fait référence pour comprendre la société tunisienne actuelle et le rôle d’un syndicat puissant dans la consolidation d’une démocratie en devenir : « L’UGTT, une passion tunisienne – Enquête sur les syndicalistes en révolution, 2011/2014 » (IRMC-Karthala, 2015).

En savoir plus

Un débat traverse l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail) depuis sa création. Il a pris un tour passionné après le départ de Ben Ali, début 2011, à propos du rôle de la centrale syndicale. « Doit-elle jouer seulement un rôle syndical ou a-t-elle la légitimité d’exercer un rôle politique dans le pays ? », résume Hèla Yousfi, auteure de « L’UGTT, une passion tunisienne ».
En réalité, l’UGTT fait partie du champ politique tunisien depuis la lutte pour l’indépendance nationale, dans les années 50, aux côtés du Destour et du Néo-Destour, le parti présidé par Habib Bourguiba. Née en 1946 d’une séparation avec la section locale de la CGT française, l’UGTT s’est affirmée en jouant progressivement un rôle de premier plan qui articule lutte sociale et lutte politique. Un rôle de force d’équilibre qu’elle a continué d’assumer pleinement pendant la Révolution du 17 décembre 2010 ayant conduit à la chute du président Ben Ali et à la période de transition démocratique qui a suivi.
« Se targuant d’une légitimité d’indépendance et d’impartialité, l’UGTT se trouve ainsi au centre des interactions entre différentes sources de légitimité et différents systèmes de pouvoir », poursuit l’auteure.

Un statut original dans le monde arabe

L’originalité de l’UGTT dans le monde arabe est qu’elle est la seule centrale syndicale, du fait de son histoire et de son ancrage dans la vie socio-politique, à avoir maintenu un minimum d’autonomie par rapport aux pouvoirs politiques en place. Pendant le régime de Ben Ali, ce fut le seul espace de résistance face à la dictature.
Depuis sa création, l’UGTT a toujours été une force d’équilibre. « Au moment du processus révolutionnaire et de la transition, un clivage apparaît au sein de la centrale syndicale entre ceux qui militent pour une rupture radicale avec l’ancien régime et ceux, proches de l’élite politique et économique tunisienne, qui plaident pour un minimum de continuité institutionnelle afin d’obtenir la stabilité du pays. » Se positionnant comme structure intermédiaire, l’UGTT s’efforce alors de construire un consensus entre les différents acteurs. Elle joue un rôle de médiateur entre le mouvement populaire largement conduit par les chômeurs, d’autres organisations de la société civile et les partis politiques.

Une organisation fédératrice

Contrairement à une opinion souvent répandue en France selon laquelle l’UGTT serait un syndicat laïque et de gauche, c’est en fait une organisation qui regroupe des adhérents de toutes les couches sociales – travaillant essentiellement dans le secteur public – et de toutes opinions politiques – ancien parti au pouvoir, gauche, nationalistes arabes, islamistes.
« Sa composition hétérogène en fait une micro-société, souligne la chercheure. Ce n’est pas une ligne partisane qui détermine les positions ou la stratégie de l’UGTT mais plutôt sa recherche d’un équilibre subtil entre plusieurs intérêts régionaux, sectoriels et aussi politiques. Sa tradition la pousse à trouver un compromis entre plusieurs intérêts divergents, pour le bien commun de la Tunisie. Elle fait pression sur le pouvoir en place, mais sans tomber dans la rupture radicale. »
Historiquement, quand le mouvement social est fort, la bureaucratie syndicale a un pouvoir d’influence sur les élites dirigeantes et peut lui arracher des acquis sociaux. Et quand le mouvement social est faible, victime d’une répression, l’UGTT tente de construire des compromis avec le pouvoir.

Un modèle syndical non reproductible

Est-ce que ce « modèle syndical tunisien » est reproductible dans les autres pays arabes ? « Non, répond Hèla Yousfi, car l’histoire n’est pas partout la même. De par son passé colonial, la Tunisie a hérité du modèle syndical que représentait alors la CGT avec sa forte tradition bureaucratique et centralisatrice. Il lui en reste quelques “traces”, mais l’UGTT n’a plus rien à voir avec la pratique syndicale française. Son modèle est aujourd’hui largement ancré dans le contexte spécifique de l’organisation socio-politico-culturelle tunisienne. Il peut fonctionner en Tunisie où existe une société civile active, organisée et autonome, contrairement aux autres pays arabes »
Aucun entre eux n’a vu, comme en Tunisie, les chômeurs s’organiser (Union des Diplômés Chômeurs) pour devenir une force de proposition et de pression sur le pouvoir en place. Cependant, l’exemple de l’UGTT peut inspirer les autres pays arabes sur l’importance des organisations civiles dans le fonctionnement du politique et surtout dans la gestion du processus révolutionnaire qui a conduit à la transformation du champ politique tunisien.

Le « modèle UGTT » est-il menacé ?

Depuis l’adoption de la première constitution démocratique de la Tunisie, le 26 janvier 2014, l’UGTT doit relever plusieurs défis. Comment évoluer face au développement actuel du pluralisme syndical et politique ? Comment s’ouvrir à plus de représentation du secteur privé, des femmes et des jeunes ? Quelles relations entretenir avec les chômeurs qui deviennent la première force d’opposition sociale ?
Ce troisième défi – sans doute le plus difficile – crée aujourd’hui un nouveau débat au sein de l’UGTT. Entre ceux qui pensent que l’intérêt de l’UGTT est de négocier avec les élites économiques et politiques, en contrepartie d’augmentations salariales ; et les autres estimant que l’UGTT doit associer ses luttes à celles des chômeurs (entre 20 et 50% selon les régions), notamment celles de l’UDT, pour proposer une alternative économique aux politiques libérales imposées par les bailleurs de fonds et éviter que les jeunes inactifs ne rejoignent DAECH.
L’étude inédite de Hèla Yousfi, basée sur une enquête ethnographique auprès des acteurs tunisiens, est la première à souligner l’importance des organisations civiles dans la gestion d’un processus révolutionnaire et à formaliser le concept de force d’équilibre jouée par un syndicat. Un rôle analogue qu’a joué auparavant Solidarność, jusqu’à la chute du rideau de fer et au retour de la démocratie en Pologne. Et aussi les organisations syndicales sud-africaines qui ont contribué à la fin de l’apartheid…

APPLICATIONS OPÉRATIONNELLES

Le 10 décembre 2015, à Oslo, les membres du « quartet » tunisien* ont reçu le Prix Nobel de la Paix pour avoir, en 2013, animé le « dialogue national » entre les partis politiques et permis au pays de sortir d’une grave crise qui menaçait sa transition démocratique.
* Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA – fédération syndicale patronale), Ordre national des Avocats, Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme.

 

Hèla Yousfi est maître de conférences en management et organisation à l’Université Paris-Dauphine, membre de DRM- M&O et coordinatrice du MBA International en formation continue pour les cadres tunisiens à l’Université Paris-Dauphine / Tunis. Son domaine d’expertise est la sociologie des organisations. Elle décrypte l’influence de la culture politique sur le fonctionnement des entreprises dans les pays arabes. Ses travaux et publications portent également sur les enjeux culturels des changements institutionnels et des politiques de développement économique. Elle s’intéresse également aux mouvements sociaux dans une perspective postcoloniale.

BIBLIOGRAPHIE

  • Yousfi H. (2015) : L’UGTT, une passion tunisienne – Enquête sur les syndicalistes en révolution, 2011/2014, IRMC (Tunis) / Karthala (Paris).

  • Yousfi H. (2014) : Rethinking Hybridity in Postcolonial Contexts : What changes and what persists ? The Tunisian case of Poulina’s managers. Organization Studies, vol. 35, n°3.

  • International Crisis Group (2014): L’exception tunisienne : succès et limites du consensus. Tunis/Bruxelles, ICG, 5 juin.

  • Hmed C. (2013): Tunisie : le salut par le dialogue national ? Libération, 13 décembre.

  • Yousfi H. & Hmed C. (2013) : Non à l’assassinat de la révolution tunisienne. Le Monde, 31 juillet.

  • Hamzaoui S. (2013): Pratiques syndicales et pouvoir politique : pour une sociologie des cadres syndicaux (cas de la Tunisie). Thèse de doctorat en sociologie, Université Paris 7.

  • Ben Achour R. & S. (2012): La transition démocratique en Tunisie : entre légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire. Revue française de droit constitutionnel, vol.4, n°92.

  • Dobry M. (2009): Sociologie des crises politiques, la dynamique des mobilisations multisectorielles. Paris, Presse des Sciences Po.


« Too-International-to-Fail : la BCE garde-fou du système bancaire européen ? »

Marius A. Zoican

« Too international to fail? » Cette question revient au-devant de l’actualité en ce début 2016 où les banques européennes sont soumises à nouveau à de fortes turbulences. Marius Andrei Zoican (Université Paris-Dauphine) et Lucyna Anna Górnicka (Fonds Monétaire International), se posent cette question dès 2013, alors qu’ils préparent leurs thèses avec la perspective de l’entrée en vigueur de l’Union bancaire européenne, et notamment du Mécanisme de résolution unique (MRU), au 1er janvier 2016. Dans leur étude « Too-International-to-Fail? Supranational Bank Resolution and Market Discipline », ils testent en avant-première l’efficacité de l’Union bancaire européenne.

En savoir plus

L’Europe se protège contre le risque systémique. Depuis le 1er janvier 2016, avec l’entrée en vigueur du Mécanisme de résolution unique (MRU), deuxième pilier de l’Union bancaire européenne, ce n’est plus la banque centrale d’un pays de la zone euro ou le gouvernement de ce pays qui décide de sauver une de ses banques nationales en défaut mais la Banque centrale européenne (BCE).

Un système vertueux…

« Aujourd’hui, résume Marius A. Zoican, si la banque d’un pays membre de l’Union bancaire européenne fait défaut, elle n’est plus laissée au bon vouloir des Etats ou de ses actionnaires et créanciers. Désormais, c’est à la BCE que revient la capacité d’y injecter des liquidités pour éviter le risque de contagion d’un pays à l’autre. Elle joue ainsi le rôle de super-régulateur européen en lieu et place des régulateurs nationaux que sont les banques centrales nationales. »

Pour comparer les deux hypothèses de résolution de crise – avec le superviseur européen ou avec des régulateurs nationaux – les auteurs ont développé un modèle mathématique qui simule le comportement de deux pays avec chacun une banque. Basé sur la théorie des jeux, ce modèle simule l’interaction stratégique de la banque X et de la banque Y, dans le cadre d’un système à 2 régulateurs nationaux et 4 joueurs (les 2 régulateurs + les 2 banques), ou d’un système à 1 super-régulateur et 3 joueurs (le super-régulateur + les 2 banques). Chaque joueur est censé avoir un comportement stratégique et analyser le risque de ses décisions, en prenant en compte les décisions des autres.

… Mais un effet pervers

Les co-auteurs font tourner leur modèle sur le logiciel de calcul formel Mathematica. « Il apparaît alors que le superviseur européen, par ses interventions appropriées, remplit bien sa fonction de régulateur du système bancaire en cas de crise. Sa limite est que certaines banques, s’estimant bien protégées par ce filet de sécurité, adoptent un comportement non stratégique, non respectueux des standards prudentiels, en prenant des positions sur des actifs opaques et complexes tels que des produits structurés ou dérivés. C’est un effet pervers du MRU qu’il ne faut pas sous-estimer. »

Too international to fail ? Le seul Mécanisme de résolution unique, s’il avait existé fin 2015, n’aurait pas empêché plusieurs banques italiennes, positionnées sur des produits douteux, de se trouver au bord de la faillite. C’est pourquoi Marius Zoican et Lucyna Górnicka prônent un système hybride où coexisteraient un mécanisme de résolution européen et des régulateurs nationaux. « Leur combinaison préviendrait le risque d’insolvabilité tout en ne créant pas d’incitations à la prise de risque. »

APPLICATIONS OPÉRATIONNELLES

Le modèle de Marius A. Zoican et Lucyna A. Górnicka met en évidence le rôle stabilisateur d’un superviseur supranational. Il permet de définir des standards de comportement stratégique et de vérifier que les banques ne s’exposent pas de manière inconsidérée aux risques. Il peut également s’avérer utile pour décider des contributions des différents pays à l’Union bancaire européenne.

D’après l’article « Too-International-to-Fail? Supranational Bank Resolution and Market Discipline. » publié dans Journal of Banking and Finance  en 2016.

 

Marius A. Zoican est Maître de conférences en finance à l’Université Paris-Dauphine et membre de DRM- Finance, Docteur en finance (Université d’Amsterdam et Institut Tinbergen), il oriente ses recherches vers les microstructures des marchés financiers, l’intermédiation financière et la régulation. Il a publié ses travaux notamment dans le Journal of Banking and Finance pour lesquels il a reçu de nombreux prix.

BIBLIOGRAPHIE

  • Zoican M. A., Górnicka L. A., 2016. Too-International-to-Fail? Supranational Bank Resolution and Market Discipline. Journal of Banking and Finance, January, Volume 65, April pp. 41–58

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